#12 : Nuit du 9 au 10 juin
Arrivée à Arkham, la soirée presque entamée, la Dre ML avait rejoint, sans détour, le bureau du Dr G où un collègue prêt à quitter l’université lui en avait annoncé l’absence et précisé qu’il travaillait tout le temps à la bibliothèque, d’autant plus depuis l’agression. C’est ainsi que, catastrophée, elle découvrit les faits qu’elle ignorait encore. Le collègue lui fit part de ses inquiétudes pour la santé du Dr G, tant physique que morale. La raison l’avait quitté depuis l’effraction, selon lui. Il ne savait pas sur quoi il travaillait, mais cela ne semblait apporter rien de bon. Après l’avoir remercié sans enchérir, elle se dirigea rapidement vers la bibliothèque alors que le gardien la verrouillait. Elle lui dit qu’elle devait impérativement avoir accès à la bibliothèque, qu’elle devait voir le Dr G. Le gardien lui répondit alors que ce dernier avait quitté les lieux depuis déjà plusieurs heures, qu’il était accompagné d’une dame. Elle lui demanda s’il savait qui était-ce et vers où ils avaient pu aller. Il répondit qu’il l’avait déjà vue ici, que c’était une chercheure d’une autre université, mais ne sut donner de nom, ni indiquer de lieu où se rendre. Elle paria que ce devait être la Dre CG et prit la direction du domicile du Dr G, vers la High Street East, au sud du quartier French Hill. Le temps de faire le déplacement, la nuit fut déjà bien installée, un vent chaud soufflait de l’est portant avec lui l’odeur de l’océan tandis que la lune glissait derrière la course des nuages. Elle arriva enfin et vit une faible lueur émaner de la fenêtre de ce qu’elle savait être la bibliothèque du Dr G, au rez-de-chaussée, à droite de la porte d’entrée.
À l’intérieur régnait un silence réflexif, écume d’un intense échange sur les révélations et les événements récents, silence brutalement rompu par une remontée mécanique vite transformée en un carillon et résolue de huit coups assez forts pour que la Dre ML en attende la fin avant de frapper, elle aussi, mais à la porte. Le Dr G redressa la tête en direction du couloir, stupéfait, tandis que la Dre CG y fut déjà rendue pour ouvrir, prête à amorcer une salutation surprise et enjouée à la découverte de son amie quand le téléphone sonna, étrangement, compte tenu de l’heure... Cette fois, le Dr G bondit de son fauteuil et se dirigea vers l’appareil, sous le regard perplexe de ses deux collègues. Au moment de s’en saisir, la Dre CG lui amorça un « Vous ne de.. », mais le Dr G tuait déjà la sonnerie en portant la partie mobile de l’appareil à son oreille, le cœur battant du traumatisme de la dernière fois, retenant sa respiration de peur de se brûler de nouveau les poumons. Il écouta... de longues secondes passèrent, en silence. Il déposa l’appareil en expirant lourdement. S’éloigna du mur et reprit une grande inspiration encombrée en s’appuyant sur le mur opposé, soulagé de ne pas avoir chuté. « Massachusetts Highway, en direction de Newburyport et Innsmouth, la quatrième entrée en direction du nord, une maison dans les bois... » Puis, reprenant sa respiration une nouvelle fois et se tournant vers la nouvelle arrivée « Je vous souhaite la bienvenue chère collègue ».
Ils s’installèrent de nouveau dans la bibliothèque puis échangèrent, pêle-mêle, de toutes les révélations, du dernier appel téléphonique, de cette voix d’enfant, de la rencontre sylvestre de la Dre ML, firent le point sur la situation, sur toutes les informations en possession et sur la marche à suivre. La décision fut prise ! Au matin, ils iraient tous les trois au lieu indiqué par téléphone, de l’autre côté de la rive, entre-temps, ils rédigeraient chacun une partie d’un document révélant l’ensemble des éléments de leur connaissance. Ils le scelleraient et iraient le déposer à la banque, accompagnés d’un collègue, professeur de droit et également notaire, qui devrait dupliquer et transmettre le document au Professeur V en cas de disparition des trois.
L’entreprise leur prit plus de temps que prévu, et c’est au soir qu’ils purent rejoindre l’adresse, se retrouvant ainsi devant l’entrée d’un chemin s’enfonçant dans un bois. La crainte et la perplexité les gagnèrent tous, mais ils tinrent bon leur décision et marchèrent d’un pas ferme sous les frondaisons jusqu’à déboucher devant une belle propriété de type colonial, à deux étages et galerie, bien entretenue en comparaison des libertés du jardin. Toutes les fenêtres étaient étrangement fermées et scellées de planches de bois. Seule la porte était entrouverte, comme invitant à entrer. Un son indistinct en émanait. Toujours hésitants, ils s’enfoncèrent dans l’obscurité béante de la demeure, en hélant, sans réponse, le propriétaire. Le son devint plus clair : sur un gramophone cahotant, ils discernèrent une petite musique éraillée et improbable. Non loin de l’entrée, ils en rejoignirent rapidement l’origine alors que leurs yeux s’habituaient à l’obscurité. Un âtre en braise éclairait à peine une grande salle où des rayonnages de livres s'étendaient du sol au plafond, dangereusement installés sur le même mur que la cheminée. Au milieu de la pièce, grinçait langoureusement une chaise à bascule dont une simple étoffe dépassait du dessous. La contournant, ils aperçurent la maigre stature d'un enfant emmitouflé dont les jambes ne pouvaient atteindre le sol. Son regard fixe et vitreux ne quitta pas les rougeoiements de l’âtre, conservant son lent bercement. Les Drs eurent tous trois le cœur serré en découvrant sa peau flétrie et tachetée, lui donnant l'air d'avoir vécu plus que la plupart des vivants. L'enfant leva alors la tête et les regarda, ou plutôt passa son regard au travers d’eux, puis... doucement, reprit son balancement.
Après un moment qui sembla une éternité, l’enfant se tourna enfin vers la Dre CG et prononça des mots que seule elle pouvait comprendre. Ses deux collègues furent noyés d’une mélancolie ineffable en entendant la mélodie de cette langue si ancienne. Quant à elle, lorsque l’enfant se tut, elle s’effondra en larmes, des larmes qu’elle n’aurait jamais cru pleurer, puisant au plus profond des âges... L’enfant les fixa encore, une si grande tristesse dans l’infinité de son regard, sous ses paupières de papier...
La musique continuait ses tours et suspendait le temps...
À l’intérieur régnait un silence réflexif, écume d’un intense échange sur les révélations et les événements récents, silence brutalement rompu par une remontée mécanique vite transformée en un carillon et résolue de huit coups assez forts pour que la Dre ML en attende la fin avant de frapper, elle aussi, mais à la porte. Le Dr G redressa la tête en direction du couloir, stupéfait, tandis que la Dre CG y fut déjà rendue pour ouvrir, prête à amorcer une salutation surprise et enjouée à la découverte de son amie quand le téléphone sonna, étrangement, compte tenu de l’heure... Cette fois, le Dr G bondit de son fauteuil et se dirigea vers l’appareil, sous le regard perplexe de ses deux collègues. Au moment de s’en saisir, la Dre CG lui amorça un « Vous ne de.. », mais le Dr G tuait déjà la sonnerie en portant la partie mobile de l’appareil à son oreille, le cœur battant du traumatisme de la dernière fois, retenant sa respiration de peur de se brûler de nouveau les poumons. Il écouta... de longues secondes passèrent, en silence. Il déposa l’appareil en expirant lourdement. S’éloigna du mur et reprit une grande inspiration encombrée en s’appuyant sur le mur opposé, soulagé de ne pas avoir chuté. « Massachusetts Highway, en direction de Newburyport et Innsmouth, la quatrième entrée en direction du nord, une maison dans les bois... » Puis, reprenant sa respiration une nouvelle fois et se tournant vers la nouvelle arrivée « Je vous souhaite la bienvenue chère collègue ».
Ils s’installèrent de nouveau dans la bibliothèque puis échangèrent, pêle-mêle, de toutes les révélations, du dernier appel téléphonique, de cette voix d’enfant, de la rencontre sylvestre de la Dre ML, firent le point sur la situation, sur toutes les informations en possession et sur la marche à suivre. La décision fut prise ! Au matin, ils iraient tous les trois au lieu indiqué par téléphone, de l’autre côté de la rive, entre-temps, ils rédigeraient chacun une partie d’un document révélant l’ensemble des éléments de leur connaissance. Ils le scelleraient et iraient le déposer à la banque, accompagnés d’un collègue, professeur de droit et également notaire, qui devrait dupliquer et transmettre le document au Professeur V en cas de disparition des trois.
L’entreprise leur prit plus de temps que prévu, et c’est au soir qu’ils purent rejoindre l’adresse, se retrouvant ainsi devant l’entrée d’un chemin s’enfonçant dans un bois. La crainte et la perplexité les gagnèrent tous, mais ils tinrent bon leur décision et marchèrent d’un pas ferme sous les frondaisons jusqu’à déboucher devant une belle propriété de type colonial, à deux étages et galerie, bien entretenue en comparaison des libertés du jardin. Toutes les fenêtres étaient étrangement fermées et scellées de planches de bois. Seule la porte était entrouverte, comme invitant à entrer. Un son indistinct en émanait. Toujours hésitants, ils s’enfoncèrent dans l’obscurité béante de la demeure, en hélant, sans réponse, le propriétaire. Le son devint plus clair : sur un gramophone cahotant, ils discernèrent une petite musique éraillée et improbable. Non loin de l’entrée, ils en rejoignirent rapidement l’origine alors que leurs yeux s’habituaient à l’obscurité. Un âtre en braise éclairait à peine une grande salle où des rayonnages de livres s'étendaient du sol au plafond, dangereusement installés sur le même mur que la cheminée. Au milieu de la pièce, grinçait langoureusement une chaise à bascule dont une simple étoffe dépassait du dessous. La contournant, ils aperçurent la maigre stature d'un enfant emmitouflé dont les jambes ne pouvaient atteindre le sol. Son regard fixe et vitreux ne quitta pas les rougeoiements de l’âtre, conservant son lent bercement. Les Drs eurent tous trois le cœur serré en découvrant sa peau flétrie et tachetée, lui donnant l'air d'avoir vécu plus que la plupart des vivants. L'enfant leva alors la tête et les regarda, ou plutôt passa son regard au travers d’eux, puis... doucement, reprit son balancement.
Après un moment qui sembla une éternité, l’enfant se tourna enfin vers la Dre CG et prononça des mots que seule elle pouvait comprendre. Ses deux collègues furent noyés d’une mélancolie ineffable en entendant la mélodie de cette langue si ancienne. Quant à elle, lorsque l’enfant se tut, elle s’effondra en larmes, des larmes qu’elle n’aurait jamais cru pleurer, puisant au plus profond des âges... L’enfant les fixa encore, une si grande tristesse dans l’infinité de son regard, sous ses paupières de papier...
La musique continuait ses tours et suspendait le temps...