#12 : 8 février 2018
** brumaire de l’an **
Cher Père,
Je n’ose imaginer votre surprise à la découverte de cette lettre. Après tant d’années, vous deviez me penser mort. Cela est tout comme et si éloigné à la fois.
Vous devez vous demander ce qui a pu m’arriver durant cette décennie et la raison de mon silence.
Mais avant tout, j’aimerais revenir sur la mort tragique de votre femme, ma mère. Peut-être avez-vous pu rejoindre la maison familiale et retrouver intacte la lettre que je vous y avais laissée. Si oui, vous pouvez sauter ce chapitre, la douleur de lire cela de nouveau est inutile. Dans le cas contraire, voici les circonstances tragiques de sa disparition.
Pour être direct, je suis le responsable de la mort de Mère. Vous devez vous souvenir parfaitement de Clarence et de son état à notre arrivée. Votre inquiétude était justifiée, une certaine forme du mimosa en était la cause, provenant sans doute du vaccin que nous nous étions injecté sur le chemin. Nous le savons aujourd’hui, le virus du mimosa se caractérise par l’émission d’une odeur appelant toute créature saine au désir irrépressible et dément d’ingérer les chairs de la personne infectée, transmettant ainsi la maladie. C’est malheureusement ce soir là, peu après votre départ pour la réserve, que je l’ai découverte par moi-même, lorsqu’il m’a fallu arracher et repousser Mère en rage du corps hurlant de Clarence, jusqu’à ce qu’une chute mortelle se produise.
Je m’en veux tellement, Père. Si seulement j’avais pu savoir que l’effet était créé par la maladie.
Je comprendrais, après cela, que vous ne vouliez ni avoir de nouvelles de moi ni continuer la lecture. Ce fut une des raisons de mon silence. Je sais au combien il a dû être dur de perdre votre femme et vos deux fils. Ainsi, d’apprendre que l’un d’entre eux est encore en vie, mais qu’il est à l’origine de la perte de votre femme doit être un terrible mélange d’émotions conflictuelles.
Mais j’espère qu’une paix toute relative saura vous revenir à un moment. Peut-être alors serez-vous intéressé par les éléments que je vous livre ensuite.
Je suis au fait des origines du mimosa. J’en sais bien plus que ce qui circule dans les médias, et malgré les grandes révélations qui surgissent depuis la fin du conflit. Après cet accident tragique avec Mère nous avons rejoint l’Islande par un navire dans lequel Clarence a pu être prise en charge par des médecins et biologistes du même groupe indépendant qu’elle. Une fois sur place, j’ai retrouvé É., vous souvenez-vous d’elle ? Elle était en compagnie de l’équipe de scientifiques indépendants que Clarence devait rejoindre. L’un d’entre eux était à l’origine même du virus souche à partir duquel le mimosa est apparu. Il porte d’ailleurs le même nom que nous. Il semble que ceci porta préjudice à J. lors de son jugement par un procureur de la Chancellerie dont l’incompétence et la mégalomanie ont coûté la vie à mon frère. Mais ce scientifique m’a tout raconté en détail. Il existait une communauté d’êtres troglodytes habitant les Carpates à l’époque des Thraces. Leurs membres étaient réputés posséder l’immortalité et la caractéristique biologique de pouvoir subvenir à leur besoin en absorbant une partie du sang des autres membres de la communauté. Ils possédaient cependant une intolérance mortelle à la lumière solaire. Certains membres semblent s’être unis avec des individus d’autres communautés humaines au fil des siècles, donnant par ailleurs naissance à des légendes de vampirisme. Plus récemment, un programme de recherche fut développé par les ÉAN suite à la redécouverte d’individus issus de cette communauté avant le début du conflit. Compte tenu de la montée des eaux et la diminution des ressources, les propriétés de ce peuple semblaient intéressantes. Il fut alors découvert que c’était un élément propre au sang de ce peuple qui était à l’origine de leurs propriétés. Les scientifiques responsables du projet tentèrent d’isoler cet élément et de le modifier pour en enlever l’intolérance à la lumière qu’il provoquait chez les individus porteurs. Ils utilisèrent ensuite un virus afin de le faire produire chez un individu sain. Après quelques testes concluants en laboratoire et sur le terrain, des soldats ont été pris pour cobayes sur le front est-européen. Au bout de quelques mois, le virus porteur n’était plus si neutre que cela et l’ensemble évolua vers ce que nous connaissons du mimosa. Le monde connaît la suite.
Le scientifique dont je te parlais plus haut avait entendu dire que certains des membres de la communauté troglodyte avaient immigré vers le nord de l’Europe, il y a plusieurs siècles de cela, à la recherche de territoires moins habités et aux nuits plus longues. Il était à la recherche d’un individu issu d’une souche directe de ce peuple, avec l’espoir de pouvoir développer un vaccin, voire un antidote. Et c’est en Islande qu’il put enfin en retrouver.
C’est aussi grâce à l’équipe en place que j’ai appris que j’étais « porteur sain », lors d’une autre catastrophe où des personnes saines ont tenté de dévorer une personne infectée. On a remarqué que je n’étais pas sujet à l’appel de la chair.
Ainsi, mon sang et les échantillons prélevés sur les individus de la communauté troglodyte islandaise ont permis d’élaborer le vaccin et l’antidote. Clarence, jusque-là en quarantaine, a pu bénéficier des premiers tests. Ils s’avérèrent concluants. La souche de mimosa dont elle était atteinte n’était pas aussi virulente que celle de ceux qui subissaient des déformations physiques importantes. Elle en conserva simplement quelques cicatrices et une légère et élégante couleur cuivrée de la peau.
Une fois stabilisés, vaccins et antidotes ont pu être distribués des deux côtés du front, relançant la guerre qui s’épuisait faute de soldats, jusqu’au traité du Nouvel Ordre.
Entre-temps, je fus infiltré clandestinement en Suède, afin de retrouver une personne, une noble, intéressée par mon état de porteur sain. C’était elle aussi une « porteuse saine » depuis des générations, en fait une descendante métisse troglodyte. Elle m’en a appris plus sur mon état et ses évolutions possibles, qui s’avérèrent toutes correctes.
Elle m’a également parlé du seigneur roumain avec lequel vous aviez été en relation pour obtenir de l’argent pour J., lui aussi un « porteur sain ». Depuis je navigue de manière nocturne entre l’ancienne Roumanie et l’ancienne Suède. C’est beaucoup plus facile depuis la fin du conflit.
Enfin, É. a rejoint Bucarest et travaille à la réhabilitation de la mémoire de J., je l’aide dans la mesure de mon possible.
J’espère que cette lettre aura pu répondre à certaines de vos interrogations et, qui sait, vous apporter, peut-être, un peu de réconfort,
Peut-être pourrais-je lire une réponse de vous, prenez le temps dont vous avez besoin j’ai maintenant l’éternité devant moi pour cela,
Embrassez mes sœurs,
Votre fils,
Je n’ose imaginer votre surprise à la découverte de cette lettre. Après tant d’années, vous deviez me penser mort. Cela est tout comme et si éloigné à la fois.
Vous devez vous demander ce qui a pu m’arriver durant cette décennie et la raison de mon silence.
Mais avant tout, j’aimerais revenir sur la mort tragique de votre femme, ma mère. Peut-être avez-vous pu rejoindre la maison familiale et retrouver intacte la lettre que je vous y avais laissée. Si oui, vous pouvez sauter ce chapitre, la douleur de lire cela de nouveau est inutile. Dans le cas contraire, voici les circonstances tragiques de sa disparition.
Pour être direct, je suis le responsable de la mort de Mère. Vous devez vous souvenir parfaitement de Clarence et de son état à notre arrivée. Votre inquiétude était justifiée, une certaine forme du mimosa en était la cause, provenant sans doute du vaccin que nous nous étions injecté sur le chemin. Nous le savons aujourd’hui, le virus du mimosa se caractérise par l’émission d’une odeur appelant toute créature saine au désir irrépressible et dément d’ingérer les chairs de la personne infectée, transmettant ainsi la maladie. C’est malheureusement ce soir là, peu après votre départ pour la réserve, que je l’ai découverte par moi-même, lorsqu’il m’a fallu arracher et repousser Mère en rage du corps hurlant de Clarence, jusqu’à ce qu’une chute mortelle se produise.
Je m’en veux tellement, Père. Si seulement j’avais pu savoir que l’effet était créé par la maladie.
Je comprendrais, après cela, que vous ne vouliez ni avoir de nouvelles de moi ni continuer la lecture. Ce fut une des raisons de mon silence. Je sais au combien il a dû être dur de perdre votre femme et vos deux fils. Ainsi, d’apprendre que l’un d’entre eux est encore en vie, mais qu’il est à l’origine de la perte de votre femme doit être un terrible mélange d’émotions conflictuelles.
Mais j’espère qu’une paix toute relative saura vous revenir à un moment. Peut-être alors serez-vous intéressé par les éléments que je vous livre ensuite.
Je suis au fait des origines du mimosa. J’en sais bien plus que ce qui circule dans les médias, et malgré les grandes révélations qui surgissent depuis la fin du conflit. Après cet accident tragique avec Mère nous avons rejoint l’Islande par un navire dans lequel Clarence a pu être prise en charge par des médecins et biologistes du même groupe indépendant qu’elle. Une fois sur place, j’ai retrouvé É., vous souvenez-vous d’elle ? Elle était en compagnie de l’équipe de scientifiques indépendants que Clarence devait rejoindre. L’un d’entre eux était à l’origine même du virus souche à partir duquel le mimosa est apparu. Il porte d’ailleurs le même nom que nous. Il semble que ceci porta préjudice à J. lors de son jugement par un procureur de la Chancellerie dont l’incompétence et la mégalomanie ont coûté la vie à mon frère. Mais ce scientifique m’a tout raconté en détail. Il existait une communauté d’êtres troglodytes habitant les Carpates à l’époque des Thraces. Leurs membres étaient réputés posséder l’immortalité et la caractéristique biologique de pouvoir subvenir à leur besoin en absorbant une partie du sang des autres membres de la communauté. Ils possédaient cependant une intolérance mortelle à la lumière solaire. Certains membres semblent s’être unis avec des individus d’autres communautés humaines au fil des siècles, donnant par ailleurs naissance à des légendes de vampirisme. Plus récemment, un programme de recherche fut développé par les ÉAN suite à la redécouverte d’individus issus de cette communauté avant le début du conflit. Compte tenu de la montée des eaux et la diminution des ressources, les propriétés de ce peuple semblaient intéressantes. Il fut alors découvert que c’était un élément propre au sang de ce peuple qui était à l’origine de leurs propriétés. Les scientifiques responsables du projet tentèrent d’isoler cet élément et de le modifier pour en enlever l’intolérance à la lumière qu’il provoquait chez les individus porteurs. Ils utilisèrent ensuite un virus afin de le faire produire chez un individu sain. Après quelques testes concluants en laboratoire et sur le terrain, des soldats ont été pris pour cobayes sur le front est-européen. Au bout de quelques mois, le virus porteur n’était plus si neutre que cela et l’ensemble évolua vers ce que nous connaissons du mimosa. Le monde connaît la suite.
Le scientifique dont je te parlais plus haut avait entendu dire que certains des membres de la communauté troglodyte avaient immigré vers le nord de l’Europe, il y a plusieurs siècles de cela, à la recherche de territoires moins habités et aux nuits plus longues. Il était à la recherche d’un individu issu d’une souche directe de ce peuple, avec l’espoir de pouvoir développer un vaccin, voire un antidote. Et c’est en Islande qu’il put enfin en retrouver.
C’est aussi grâce à l’équipe en place que j’ai appris que j’étais « porteur sain », lors d’une autre catastrophe où des personnes saines ont tenté de dévorer une personne infectée. On a remarqué que je n’étais pas sujet à l’appel de la chair.
Ainsi, mon sang et les échantillons prélevés sur les individus de la communauté troglodyte islandaise ont permis d’élaborer le vaccin et l’antidote. Clarence, jusque-là en quarantaine, a pu bénéficier des premiers tests. Ils s’avérèrent concluants. La souche de mimosa dont elle était atteinte n’était pas aussi virulente que celle de ceux qui subissaient des déformations physiques importantes. Elle en conserva simplement quelques cicatrices et une légère et élégante couleur cuivrée de la peau.
Une fois stabilisés, vaccins et antidotes ont pu être distribués des deux côtés du front, relançant la guerre qui s’épuisait faute de soldats, jusqu’au traité du Nouvel Ordre.
Entre-temps, je fus infiltré clandestinement en Suède, afin de retrouver une personne, une noble, intéressée par mon état de porteur sain. C’était elle aussi une « porteuse saine » depuis des générations, en fait une descendante métisse troglodyte. Elle m’en a appris plus sur mon état et ses évolutions possibles, qui s’avérèrent toutes correctes.
Elle m’a également parlé du seigneur roumain avec lequel vous aviez été en relation pour obtenir de l’argent pour J., lui aussi un « porteur sain ». Depuis je navigue de manière nocturne entre l’ancienne Roumanie et l’ancienne Suède. C’est beaucoup plus facile depuis la fin du conflit.
Enfin, É. a rejoint Bucarest et travaille à la réhabilitation de la mémoire de J., je l’aide dans la mesure de mon possible.
J’espère que cette lettre aura pu répondre à certaines de vos interrogations et, qui sait, vous apporter, peut-être, un peu de réconfort,
Peut-être pourrais-je lire une réponse de vous, prenez le temps dont vous avez besoin j’ai maintenant l’éternité devant moi pour cela,
Embrassez mes sœurs,
Votre fils,